Témoignage de Pierre-Paul Desgagnés, directeur des services maritimes de la SOCIETE DES TRAVERSIERS DU QUEBEC, cité par le Magazine Maritime n°22.
«Les premiers systèmes essayés étaient des débitmètres à ultrasons, en 1985. Ce système n’offrait qu’une précision très médiocre. En 1989, une société française a remplacé notre système à ultrasons par son propre dispositif, constitué de deux compteurs volumétriques mécaniques (à engrenages ovales) très semblables à ceux qu’on retrouve dans les pompes de ravitaillement. Le dispositif ne comportait pas de moyen de compenser l’expansion du carburant causée par les variations de température.
De bien meilleurs résultats ont été obtenus avec ce système et même si l’on a souvent été amenés à douter de sa précision, on l’a conservé pendant dix ans. Pourtant, nombreux étaient les chefs mécaniciens, qui n’étaient pas satisfaits des résultats obtenus. En 1997, la STQ a décidé d’installer un autre système sur le Felix-Antoine Savard, un traversier équipé de deux moteurs Caterpillar 3608. Ce système intègre un débitmètre volumétrique à large tolérance ; il mesure le débit à l’entrée et à la sortie. Les essais du prototype ont amené à conclure que le principe de mesure était bon, bien que la précision ne soit pas entièrement à la hauteur des attentes.
Les ingénieurs ont alors établi un cahier des charges du produit : capacité de compenser l’expansion du carburant due aux écarts de température; capacité de compenser les changements dans la viscosité; jeu suffisant pour que l’alimentation en carburant du moteur ne soit pas coupée en cas de blocage attribuable à la pénétration de corps étrangers dans le circuit; construction solide et robuste pour supporter les pulsations hydrauliques extrêmes produites par la machine; simplicité de conception et d’installation; précision et fiabilité durables. La véritable difficulté était de neutraliser l’effet des variations de température ; le seul moyen d’y parvenir était d’avoir recours à des capteurs intelligents microprocessorisés. Les essais sur le terrain ont débuté en 1994, en partenariat avec la Société d’énergie des Territoires du Nord-Ouest (SETNO). Il a fallu modifier les débitmètres, les capteurs et les techniques d’étalonnage pour améliorer la précision et la fiabilité du système.
Au cours des premières sorties du Félix- Antoine Savard, le dispositif a été utilisé pour déterminer la charge assurant la meilleure efficience énergétique. On a comparé les résultats obtenus en exploitant les machines à 85 % et à 95 % de la puissance maximale continue (PMC). À 85 % de la PMC, la vitesse surface était de 15,5 nœuds, contre 16,5 nœuds à 95 %. La différence dans la consommation de carburant était cependant spectaculaire. Les 10 % de différence permettaient une économie d’environ 100 litres à l’heure par moteur. En d’autres mots, une augmentation de vitesse d’un nœud coûte 200 litres à l’heure ! Sans cette nouvelle technologie, il aurait été impossible de mesurer précisément cette augmentation.
À la lumière des premiers succès obtenus à bord du Félix-Antoine Savard, la STQ a acheté ces dispositifs pour en doter quatre de ses autres navires. On s’est ensuite efforcé de travailler avec les officiers : il a été décidé que les officiers inscriraient dans le journal la consommation totale pendant leur quart. Ils compareraient leurs résultats individuels sur une période déterminée et, à la lumière des données fournies par le système, établiraient ensemble une stratégie pour optimiser la consommation sans sacrifier la sécurité et la fiabilité. Ils se sont ralliés sans réserve à cette façon de voir et se sont dotés d’objectifs de consommation à court et à long termes réalistes.
Depuis, en moyenne, la STQ économise de 45 à 50 litres à l’heure sur chacun des navires où le système est utilisé. Les navires de la STQ font 5000 heures de service par année… en adoptant une hypothèse prudente de réduction de 45 litres à l’heure, la STQ a économisé 225 000 litres par navire, soit 48 375 dollars par année.
Les officiers de la STQ sont désormais très à l’aise avec le système et ils ont confiance en son rendement et sa précision. La prochaine étape sera la mise en place d’un programme d’entretien préventif basé non plus sur les heures de service, mais plutôt sur la consommation de carburant, qui constitue la meilleure indication du travail d’un moteur. »
« L’hiver dernier, un incident survenu à bord du Jos Deschênes a aidé à diagnostiquer un problème. Le chef mécanicien avait remplacé une bague de crémaillère d’injection sur un des moteurs. Le capitaine, qui n’était pas au courant, a noté que la consommation de ce moteur, qui était normalement de 295 litres à l’heure avec le registre à la position normale, était tombée à 276 litres à l’heure. La consommation de l’autre moteur était toujours de 295 litres à l’heure. Une investigation plus poussée a révélé que la température de l’échappement et la pression de reprise au moteur en question étaient également basses. Le chef mécanicien a réexaminé la bague installée et il a constaté que la crémaillère devait être ajustée. Il s’est servi du système de contrôle de la consommation de carburant pour faire le réglage et la température de l’échappement ainsi que la pression de reprise sont revenues à la normale. Cette anecdote confirme l’utilité du système. »